la détermination d’une femme à fuir l’Ukraine et à sauver sa famille
la détermination d’une femme à fuir l’Ukraine et à sauver sa famille
7 avril 2022
C’est la première fois qu’Alina Beskrovna, 31 ans, s’assied pour raconter son histoire. Ce faisant, la jeune femme réalise qu’elle est probablement devenue sourde d’une oreille, conséquence des incessants bombardements auxquels elle a été exposée.
« Je ne sais pas quel jour nous sommes », souffle-t-elle. « Je suis coupée du monde depuis cinq semaines ».
Voilà seulement six jours qu’Alina, sa mère et ses trois chats ont pu s’échapper de la cave où ils s’étaient réfugiés à Marioupol, une ville portuaire ukrainienne nichée entre la Crimée et le Donbass. Le père d’Alina, qui vivait dans un quartier voisin au moment du premier assaut, est toujours porté disparu.
Jusqu’à l’invasion russe du 24 février dernier, Marioupol, avec ses 450 000 habitants, était une ville bouillonnante d’activité. Aujourd’hui, il n’en reste que les cendres d’un rêve passé.
Des centaines de soldats russes encerclent en ce moment la ville, où 300 000 civils demeurent piégés sous le feu d’incessantes attaques. Les familles, les enfants et les personnes âgées s’abritent dans des sous-sols, sans électricité, gaz, Wi-Fi ou réseau de téléphonie mobile. Comme le décrit Alina, la ville est devenue un antre de la mort.
Alina savait que pour survivre, la meilleure chose à faire était de fuir. « Il faut que je sorte ma famille de cet enfer », se répétait-elle.
Ayant entendu dire qu’il existait une lueur d’espoir pour ceux qui parviendraient à passer les seize points de contrôle russes sur le chemin de Zaporizhzhia, Alina et sa mère se sont empressées de fuir, sans autre bagage que les vêtements qu’elles portaient sur le dos. Pendant cinq jours, les deux femmes ont marché jusqu’au poste frontière de Medyka, entre l’Ukraine et la Pologne, portant leurs trois chats et priant à chaque pas pour qu’ils survivent un jour de plus, alors que les bombardements continuaient de retentir inlassablement au-dessus de leurs têtes. À chaque poste de contrôle, Alina et sa mère ont subi le même traitement brutal : pointant des armes à feu vers leur visage, les soldats les interrogeaient, exigeant ensuite qu’elles soient fouillées au corps. Aux yeux des militaires, tout individu cherchant à traverser la frontière représente une menace potentielle. Y compris les animaux. Alina a été obligée de donner ses chats aux soldats pour qu’ils les fouillent.
À l’aube du 28 mars, alors que le soleil pointait à l’horizon, Alina et sa mère ont enfin pu pénétrer sur le territoire polonais, à la ville frontière de Medyka. Aux côtés de groupes humanitaires, IFAW, le Fonds international pour la protection des animaux, était présent pour accueillir les réfugiés et prendre soin des animaux dans le besoin. Reconnue comme l’une des principales organisations d’intervention en cas de catastrophe, IFAW dispose de plus de cinquante années d’expérience dans le sauvetage d’animaux et d’espèces sauvages pris dans des ouragans, des feux de brousse, des inondations, des tremblements de terre et, désormais, des zones de guerre.
Alina et sa famille ont rapidement été prises en charge par Diane Treadwell, une consultante qui est deployée sur le terrain pour ifaw lors de catastrophes, depuis plus de 12 ans. Elle a amené les chats au poste de soins aux animaux. Là, Shannon Walajtys, directrice de programme de l’équipe d’intervention d’urgence d’IFAW, a vérifié leurs constantes vitales, puis les a emmenés avec Alina dans une clinique vétérinaire privée pour les faire vacciner et les doter d’une puce électronique. Une fois ces procédures effectuées, Diane Treadwell et Shannon Walajtys ont installé Alina et sa mère à l’arrière de la tente de service, où elles ont pu poser leurs sacs, se restaurer et se réchauffer. C’était la première fois en plus de 30 jours qu’Alina prenait un moment de repos.
« C’est surréaliste, à cause du contraste. J’ai l’impression d’être en plein rêve », confiait la jeune femme aux volontaires d’IFAW présents sous la tente. « J’ai l’impression que je vais me réveiller d’un instant à l’autre et me retrouver à nouveau dans le sous-sol [où nous étions réfugiés]. Je savais qu’il y avait des missions de sauvetage ici qui s’occupaient spécifiquement des animaux, donc je ne suis pas surprise de vous trouver là. Ce qui me surprend, c’est l’ampleur de l’aide que vous nous avez offerte, ainsi que cette rapidité d’intervention et cette humanité dont vous avez fait preuve envers nous. »
En temps de catastrophe, les gens doivent décider s’ils emmènent leurs animaux avec eux ou s’ils les abandonnent. Pour Alina, emmener ses chats était une évidence.
« Les personnes qui pensent que la vie d’un animal vaut moins qu’une vie humaine sont des personnes dont la vision du monde est très différente de la mienne », affirme-t-elle. Elle nous explique que deux de ses chats, Buck et Tom, sont des chats errants qu’elle a récupérés dans la rue. L’autre, Marysia, est un chat âgé de 19 ans qu’elle a adopté à la mort de son ancien propriétaire.
« C’était des chats comme les autres, qui jouaient ensemble, se battaient entre eux parfois... Ils étaient heureux et menaient une vie normale. Puis la guerre a éclaté. Nous les avons installés avec nous au sous-sol et ils ont passé un mois à souffrir sous les bombardements et les tirs d’obus, comme nous. »
Lorsqu’on l’interroge sur ce qu’elle compte faire ensuite, Alina déclare qu’elle souhaite continuer de voyager jusqu’à atteindre les États-Unis ou le Canada.
« Je ne cesse de réfléchir, à tel point que je n’arrive à terminer aucune tâche que j’entreprends. Je ne pense pas avoir encore intégré tout ce qui s’est passé... Je dois m’occuper de ma mère, qui ne parle pas la langue et n’a jamais mis le pied à l’étranger. Et j’ai trois chats. Donc pour l’instant, je me concentre sur mon devoir de prendre soin de ma famille, tout en essayant de retrouver mon père. Mais une fois que ces tâches urgentes seront derrière moi, la tension retombera et c’est là que je vais vraiment accuser le coup, je pense ».
Lorsqu’on lui demande si elle espère retourner un jour à Marioupol, Alina prend une profonde inspiration et réfléchit. Son pays lui manque et elle aimerait être au service de ceux qui en ont besoin, mais elle ignore ce que réserve l’avenir.
« Concernant ma ville natale, Marioupol, je pense qu’il n’y a aucune chance que j’y revienne un jour, parce qu’elle n’existe plus. Je ne vois pas comment la reconstruire après un tel désastre. Et même si l’on y parvient, elle sera sous le contrôle de la Russie, donc pour moi, c’est comme si elle n’existait pas. »
Dans quelques jours, Alina et sa famille poursuivront leur voyage vers l’Allemagne le plus rapidement possible. De là, elles pourront chercher un refuge temporaire en Belgique avant de continuer leur route vers l’Ouest.
Même si Alina craint les mois à venir, il ne fait aucun doute qu’elle possède en elle la force d’aller de l’avant, quels que soient les obstacles. Elle a échappé aux mains des soldats russes. Elle est vivante et déborde d’espoir d’un avenir meilleur, pour sa famille et pour le peuple ukrainien.
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