Projet de sauvegarde et de réhabilitation des éléphants au Burkina Faso
quand la vie d’un éléphanteau fait une différence éléphantesqueNania : la chasse au trésor pour retrouver son troupeau maternel
Nania : la chasse au trésor pour retrouver son troupeau maternel
L’ambiance est bon enfant dans la voiture qui nous ramène à Boromo pour notre pause déjeuner. N’ayant rien avalé depuis la veille - si ce n’est de la poussière - en raison d’un départ très matinal, nous discutons des mets de saison qui composeront notre menu idéal. Il est 13h30 et la présence de chèvres et d’ânes indolents de part et d’autre de la piste nous indiquent que notre destination est proche. Mais soudain, l’information que j’attends depuis dix mois me parvient : des éléphants sauvages évoluent près de l’enclos de Nania.
Avant même que mon regard ne croise le sien, Issa, a compris ; le repas que nous rêvions d’engloutir n’est plus qu’un savoureux souvenir. Sourire aux lèvres, il fait demi-tour et s’engage sur cette piste qui nous conduit de nouveau auprès de Nania. Je me cramponne. Celle-ci, d’une vingtaine de kilomètres, est particulièrement difficile. Par manque de moyens, les autorités ont cessé d’en assurer l’entretien. Elle se dégrade d’année en année, de saison sèche en saison pluvieuse et requiert l’habileté, l’expérience et la prudence d’un chauffeur comme Issa pour en éviter les pièges. Ce mauvais état de la piste m’inquiète. De moins en moins carrossable, elle viendra sûrement, dans les prochains mois, compliquer la rotation hebdomadaire des gardiens de Nania, leur approvisionnement en nourriture et en eau et pourrait devenir un frein à toute intervention d’urgence. Que faire ? Appuyer la réfection de cette piste auprès de la direction du parc ? Si oui, avec quelles ressources ? Ces questions occupent mes pensées une bonne partie du trajet.
Après cinquante minutes de secousses, nous arrivons sur site dans un silence monacal, arborant une démarche qui se veut féline. Mais, Nania et Whisty nous ont repérés ! Elles nous observent, intriguées par notre attitude probablement suspecte. À les voir si placides, je relâche ma vigilance. Il ne fait aucun doute que les éléphants sauvages s’en sont allés. Salif et Souleymane, les gardiens d’astreinte pour la semaine, me le confirment tout en m’indiquant la direction qu’ils ont prise. Je découvre alors les courtes vidéos enregistrées avec leur téléphone portable : six éléphants sauvages dont un éléphanteau de quelques mois, viennent de passer juste à côté du…piège photographique que j’ai placé la veille ! Mes acolytes s’amusent de ma frustration laquelle est vite compensée par la joie de savoir que Nania a enfin établi un contact visuel et olfactif avec certains de ses congénères alors qu’elle était hors de son enclos. Lors de leur passage, elle s’est immobilisée à côté de Salif qui s’occupe d’elle depuis le premier jour de son sauvetage et les a regardés, trompe levée. Eux aussi l’ont vue et sentie à distance. C’est un début et une étape importante dans son processus de réhabilitation.
Pendant que Nania ingurgite les deux litres de lait de son biberon de 15h, je décide de marcher dans les pas de ces éléphants. Leur passage a couché les hautes herbes jaunies par la saison sèche qui débute, ce qui facilite leur pistage. Je suis à la recherche d’un véritable trésor : leurs crottins ! Et le reste de la troupe décide de m’accompagner dans cette quête particulière. En file indienne, nous suivons les sillons laissés par les pachydermes et je constate que par moments, Nania pose délicatement sa trompe sur le dos de Whisty. Est-ce pour lui intimer de hâter le pas ? Ou pour la rassurer dans cette progression à l’aveugle ? Je ne sais, mais voir ce puissant bébé de 800 kg si attentionné à l’égard d’une brebis adulte si vulnérable me touche profondément. Whisty a brisé la solitude de Nania. Nania a offert à Whisty un statut de résidente permanente dans son parc. Cette amitié est unique à l’échelle du continent !
Salif, grimpé dans un arbre pour observer les alentours, nous fait signe. Les éléphants sont à trente mètres. Ils mangent au pied d’un grand arbre. Continuer d’avancer dans leur direction serait imprudent alors que cette partie du parc n’a pas encore été soumise aux brûlages pratiqués pour stimuler la repousse d’une végétation verte et nutritive. Les graminées qui nous entourent, hautes d’au moins deux mètres, empêchent toute visibilité. Nous tentons un contournement via une zone dégagée mais sans succès. Trompes levées, ils perçoivent le danger et, après une certaine hésitation, décident de poursuivre leur route. Nous fonçons vers l’arbre…L’excitation est à son comble : notre trésor est bien là, tout frais ! J’en relève les données GPS.
Agenouillée auprès de Salif, un tube de prélèvement à la main, je l’écoute me rappeler les étapes à suivre pour collecter des échantillons de bouses d’éléphants. Le contenu de la formation que nous avons donnée à l’équipe est parfaitement assimilé, la pratique peut débuter. Nous enfilons nos gants jetables afin de ne pas polluer la matière avec notre propre ADN et mesurons la circonférence du crottin sélectionné, une donnée qui sera consignée au même titre que la date, les données GPS et le numéro du tube. Comme enseigné, Salif l’entrouvre légèrement, prend quelques pincées à différents endroits sur la surface externe mais aussi à l’intérieur qu’il introduit dans le tube contenant une solution de préservation. Il referme son tube et le remue. Renferme-t-il l’ADN de la maman de Nania ? C’est une question que nous nous poserons lors de chaque prélèvement et dont la réponse devra attendre. En effet, cela ne fait que quelques semaines que les éléphants sont de retour dans ce parc de 56 000 ha après avoir hiverné ailleurs. Ils sont difficiles à localiser. Pour l’instant, seuls quatre tubes de prélèvement ont été remplis sur la vingtaine apportée. Pour en préserver le contenu, ils iront au congélateur pendant que l’équipe poursuivra, jour après jour, cette chasse au trésor… Relâcher Nania auprès des siens est ce qui motive chacun d’entre nous, sans critère de genre, d’origine, de statut ou de croyance. L’aventure est humaine et Nania, notre ciment.
131 cm de hauteur au garrot, 172 cm de tour de poitrine ! Telles sont les nouvelles mensurations de notre protégée alors que je m’apprête à rentrer en France. Fidèle à elle-même, Nania accourt vers moi, trompe levée, et en plaque l’extrémité sur mon nez avec une rapidité, une efficacité et une précision dignes des meilleurs plombiers. Nous sommes connectées, là, quelques secondes, sous le regard interrogateur de Whisty, au coeur d’un pays dont les frontières nord et est sont en proie à la folie meurtrière des hommes. Sa confiance m’émeut.
-Céline Sissler-Bienvenu, Directrice IFAW France et Afrique francophone
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