Jimmiel J. Mandima
Vice-président des programmes mondiaux
Il est important que chaque individu, chaque citoyen de cette Terre, dénonce la situation dramatique dans laquelle se trouvent la biodiversité et la faune sauvage.
le rôle crucial de la lutte contre la fraude dans la prévention des futures pandémies
Le texte qui suit est tiré du témoignage réalisé par le Dr Jimmiel Mandima lors d’une visioconférence de la Fondation du caucus international pour la conservation (International Conservation Caucus Foundation - ICCF) qui s’est déroulée le 15 avril 2020. Cette séance était intitulée « Commerce de faune sauvage, origines du COVID-19 et prévention des futures pandémies ».
Alors que le monde continue de faire face à la crise durable provoquée par le COVID-19, il nous appartient de nous pencher sur les causes de ce nouveau coronavirus et d’examiner les moyens de travailler ensemble pour nous protéger contre de futures pandémies dues à des zoonoses. La lutte contre la fraude joue un rôle absolument crucial dans la prévention des futures pandémies. Le COVID-19 et d’autres maladies graves provenant de populations d’animaux sauvages résultent de déséquilibres dans la santé des écosystèmes. Ces déséquilibres sont en grande partie dus au développement humain et aux habitudes de consommation, qui se traduisent au final par une augmentation du commerce des espèces sauvages. En clair, bien que le COVID-19 trouve son origine chez les animaux sauvages, il s’est répandu au sein de la population humaine à cause des activités de celle-ci. Ces activités doivent être abordées de manière globale par une planification intégrée combinant tous les secteurs et par des solutions coordonnées qui utilisent l’approche Une santé unique. Cette approche reconnaît le lien entre la santé des personnes, celle des animaux et celle de l’environnement afin d’éviter de futures pandémies.
Sur le terrain, les communautés locales font preuve d’une volonté incroyable en faveur de la conservation de la faune et des habitats, même face à des facteurs de stress écrasants. Cette réalité n’est pas souvent reconnue à sa juste valeur. Les écogardes subissent un stress énorme, beaucoup d’entre eux travaillant loin de leur famille pendant plusieurs mois d’affilée. Cependant, compte tenu de l’absence de tourisme, IFAW a constaté une collaboration entre les secteurs public et privé, avec des rapports indiquant que certains parcs renforcent le déploiement d’écogardes pour prévenir une possible augmentation de la criminalité envers les espèces sauvages. Malheureusement, avec jusqu’à 99 % des revenus du tourisme perdus dans un avenir proche, les réussites en matière de conservation seront également perdues, à moins que nous puissions fournir une impulsion à court terme ou un financement d’urgence qui permette aux communautés de survivre sans recourir à des activités illégales ou contre-productives.
Des données continuent d’être rassemblées concernant les effets du COVID-19 dans les zones de conservation du monde entier. Par exemple, nous savons que la disparition du tourisme signifie qu’il y a moins de personnes pour faire fuir les braconniers, ce qui entraîne une augmentation des activités de braconnage. Les interruptions de travail, les pertes d’emploi et la fermeture du secteur commercial informel impliquent également que les personnes peuvent se retrouver obligées de survivre au moyen de prélèvements illégaux.
Là où le tourisme a été fortement touché par le COVID-19, on note une augmentation de l’empoisonnement au cyanure avec cinq éléphants tués dans certaines parties du parc national de Hwange et dans un domaine communautaire réservé à la faune sauvage près des chutes Victoria, site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO au Zimbabwe. L’origine de ces empoisonnements se trouve probablement dans la perte d’emploi et dans des facteurs de stress économique. L’utilisation du cyanure n’est malheureusement pas un phénomène nouveau, mais elle entraîne souvent un empoisonnement secondaire d’autres prédateurs, comme les lions, car le cyanure n’est pas sélectif. Aussi, un tel empoisonnement suscite des inquiétudes évidentes pour la communauté dans son ensemble.
Il est évident que la faune et les autres ressources naturelles sont étroitement liées aux moyens de subsistance des communautés du monde entier. Les ressources naturelles sont les principaux moteurs d’une société saine et de son développement économique. De plus, la protection des animaux sauvages et de leurs habitats passe par la création de communautés résistantes, où l’économie rurale est suffisamment diversifiée pour assurer un équilibre adapté en termes de durabilité. Les communautés locales désespérées, qui attachent une réelle importance à la faune sauvage en tant que source de fierté et qui s’identifient à elle pour des raisons culturelles, traditionnelles, religieuses et d’autres besoins de subsistance durable, finissent par en extraire des ressources de manière inconsidérée. En parallèle, les organisations criminelles les attirent et les rendent complices de braconnage.
C’est dans ce contexte que l’importance de la sauvegarde de la faune sauvage et des autres ressources naturelles est si cruciale, rendant l’application des lois vraiment essentielle à tous les niveaux. Soutenir les hommes et les femmes des zones protégées est primordial. Il est nécessaire de compléter la formation des écogardes et de leur fournir un soutien technologique qui facilite l’identification et les poursuites contre le braconnage et le trafic d’animaux sauvages, ou toute autre activité illégale qui nuit à l’environnement. IFAW travaille actuellement en partenariat avec l’Agence américaine pour le développement international (USAID) dans cet objectif précis au sein de régions comme la frontière entre le Malawi et la Zambie.
En 2015, le Département des parcs nationaux et de la faune sauvage du Malawi a demandé l’aide d’IFAW pour mettre un terme au problème de braconnage dans le parc national de Kasungu. Nous avons aidé à mettre en place la première unité de renseignement et d’enquête du département pour lutter contre le trafic d’animaux sauvages, créant au final un groupe de travail national qui irait au-delà du braconnage pour mettre fin également au trafic et à la vente de parties d’animaux. Rien que sur les 20 premiers mois, 189 braconniers présumés ont été arrêtés par l’unité d’enquête.
Le succès d’IFAW dans la formation et le soutien aux écogardes dans le paysage transfrontalier Malawi-Zambie ne serait pas possible sans le dynamisme des États-Unis en matière de conservation, en particulier l’USAID et les programmes du Département d’État sur le trafic d’animaux sauvages. Ces programmes de lutte contre le trafic d’espèces sauvages se concentrent sur la lutte contre le braconnage, l’amélioration de l’application des lois, la répression au niveau mondial, la perturbation des réseaux et la réduction de la demande des consommateurs pour les produits issus d’espèces sauvages. Non seulement ils sont essentiels aux efforts de conservation nationaux et internationaux et à la sécurité des États-Unis, mais ils sont également indispensables pour mettre un terme au commerce criminel de la faune sauvage, commerce qui pourrait engendrer de futures zoonoses.
Un autre programme important des États-Unis dans la lutte contre le commerce illégal de faune sauvage est le Bureau d’application des lois (Office of Law Enforcement - OLE) au sein de l’U.S Fish and Wildlife Service (FWS). L’OLE est en première ligne de la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Il inspecte les cargaisons d’animaux sauvages, mène des enquêtes et applique les lois fédérales sur les espèces sauvages afin de protéger les poissons, la faune, les plantes et les écosystèmes. L’OLE lutte contre le braconnage et le trafic d’animaux sauvages, en démantelant les réseaux criminels internationaux qui non seulement nuisent à la faune sauvage, mais peuvent aussi se livrer à d’autres activités illicites.
Entre autres choses, la petite mais puissante force de l’OLE est d’envoyer des attachés expérimentés du FWS dans des régions stratégiques où ils combattent le trafic d’animaux sauvages en soutenant et en conseillant les partenaires étrangers. Ces attachés chargés de l’application des lois concernant la faune sauvage sont des enquêteurs criminels expérimentés qui se spécialisent dans les enquêtes sur les espèces sauvages et les ressources naturelles. Ils assistent les enquêtes sur les espèces sauvages dans des pays et régions d’accueil en fournissant des formations et en renforçant les capacités. Ils donnent également des conseils sur l’utilisation des ressources américaines dans la région d’accueil pour lutter contre le trafic d’espèces sauvages. Il y a actuellement onze attachés du FWS dans les ambassades américaines à travers le monde.
Les attachés ont apporté un soutien important aux autorités locales chargées des enquêtes sur le trafic d’espèces sauvages. Ils leur permettent aussi un accès essentiel aux ressources du FWS, comme le Laboratoire national de police scientifique pour les poissons et la faune sauvage et l’Unité de collecte des preuves numériques et de support technique. Plusieurs enquêtes sur le crime organisé transnational impliquant le trafic d’ivoire d’éléphant, de corne de rhinocéros et de reptiles entre l’Afrique et l’Asie ont été lancées suite à l’intervention des attachés. Elles ont largement contribué à encourager le partage de renseignements et le soutien aux enquêtes entre les nations concernées. En aidant à éliminer les organisations de trafiquants dans les pays d’origine, ce programme constitue une importante défense de première ligne contre les zoonoses qui pourraient autrement être propagées au-delà des frontières par le trafic d’animaux sauvages.
La lutte contre la fraude est un élément essentiel, mais elle ne peut exister sans cadre. Nous devons également adopter des mesures pour nous attaquer aux causes profondes de la criminalité liée aux espèces sauvages, notamment la pauvreté, l’insécurité alimentaire et la demande de produits illégaux. Nous devons aussi regarder au-delà du commerce illégal des espèces sauvages si nous voulons vraiment nous protéger contre les pandémies de zoonoses : la destruction des habitats et la perte de biodiversité sont deux facteurs clés de la propagation des zoonoses. C’est un moment charnière de l’histoire de l’humanité : notre monde est paralysé à cause de l’exploitation des espèces sauvages. Notre réponse doit être globale, transformationnelle et complète.
Jimmiel J. Mandima
Vice-président des programmes mondiaux
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