Écotourisme : Solution miracle ou impasse imminente ?
Écotourisme : Solution miracle ou impasse imminente ?
28 mai 2024
Par Ian Michler, guide touristique en Afrique
Cela fait 33 ans que je travaille dans trois secteurs de l’écotourisme. Je suis d’abord copropriétaire d’une compagnie de safari et j’accompagne parfois des clients en tant que guide. Je suis également un photographe et un journaliste curieux qui travaille sur des questions liées à l’environnement, à la conservation et au développement durable.
La sagesse populaire considère une telle participation comme un facteur positif pour la conservation des zones protégées et de la biodiversité du continent. Cependant, j’ai longtemps réfléchi à ces contributions apparentes, y compris aux insuffisances et aux inconvénients de ce que nous faisons. En 2008, j’ai écrit un article intitulé « L’écotourisme fonctionne-t-il ? » et je me suis demandé si je faisais partie de la solution ou si je contribuais plutôt au problème. Je ne suis pas le seul : Certains de mes collègues ont également réfléchi à ces questions.
Qu’est-ce que l’écotourisme ?
Après toutes ces années, il me semble que je peux et que je dois faire partie de la solution. En fin de compte, c’est un simple compromis ; si ce n’est pas l’écotourisme, il faut s’attendre à ce que toutes les autres formes d’activité économique (de l’agriculture à l’exploitation minière, en passant par les terrains de golf et les parcs à thème) se disputent ce qu’il reste de notre environnement naturel. Néanmoins, j’ai également pu constater et comprendre qu’un écotourisme mal défini et mal géré est à la fois destructeur pour l’environnement et pour l’intégrité des communautés et, dans le pire des cas, peut être cannibale, car il finit par dévorer l’essence même de ce qu’il prétend protéger.
Mais commençons par un peu d’histoire. Alors que des circuits à vocation pédagogique ont été proposés au cours des décennies précédentes, le concept d’« écotourisme » a vu le jour dans les années 70, lorsque les premiers mouvements écologistes mondiaux ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’impact croissant du tourisme de masse. De l’avis général, c’est Héctor Ceballos-Lascuráin (conseiller spécial sur l’écotourisme auprès de l’UICN) qui a introduit le terme « écotouriste » dans l’usage courant en 1983. Il s’en est servi pour expliquer pourquoi les activités touristiques à faible impact étaient essentielles pour protéger une zone humide contre les promoteurs dans son pays, le Mexique. Dès le départ, la conservation des habitats naturels a été son objectif principal, mais il a également pensé aux avantages économiques potentiels pour la région. Héctor Ceballos-Lascuráin a fait valoir que des activités comme l’observation des oiseaux et la randonnée pourraient également créer des emplois durables et avoir des retombées positives sur l’ensemble de l’économie locale, sans détruire l’environnement.
Au cours des années 90, le concept de durabilité a gagné du terrain, à mesure qu’il était intégré dans tous les domaines du développement, y compris le tourisme. En 2002, le secteur du voyage responsable a été reconnu au niveau mondial comme un marché spécifique lorsque les Nations unies ont proclamé l’Année internationale de l’écotourisme. Depuis, son importance s’est accrue et, aujourd’hui, le potentiel perçu de l’écotourisme comme une solution à nos problèmes de conservation et de croissance économique, en particulier dans des régions comme l’Afrique subsaharienne qui sont à la traîne de la courbe de développement mondiale, lui a valu d’être vigoureusement adopté et soutenu par le lobby du développement durable dans la plupart des programmes économiques et de conservation.
Ainsi, ce qui a commencé comme une notion de voyage responsable se définit aujourd’hui par plusieurs principes plutôt que par une définition stricte. On considère généralement qu’un bon écotourisme inclut ce qui suit :
- Le développement des opérateurs et les activités qu’ils proposent doivent avoir une empreinte limitée et être durables, ce qui implique un tourisme à faible volume.
- L’expérience des écotouristes doit reposer sur la nature et intégrer une forte dimension éducative et une sensibilisation à l’écologie.
- Indépendamment des bénéfices financiers pour les opérateurs, des contributions justes et équitables devraient également être apportées aux communautés environnantes et à l’environnement, faisant ainsi de l’écotourisme un pilier des objectifs de conservation.
- Toutes les personnes impliquées doivent respecter les cultures et les coutumes locales.
Les avantages de l’écotourisme
En substance, si l’on replace ces attributs dans le contexte actuel, nous avons aujourd’hui une industrie à multiples facettes qui est considérée comme la panacée dans la mesure où elle devrait répondre à une variété d’objectifs environnementaux, sociaux et de développement, tout en satisfaisant les attentes de milliers d’écotouristes. La International Ecotourism Society (Société internationale de l’écotourisme) précise que « l’écotourisme consiste à unir la conservation, les communautés et le voyage durable ».
D’une manière générale, le modèle de l’écotourisme et ses principaux protagonistes en Afrique, qui comprennent de nombreux opérateurs de safaris parmi les plus connus ainsi qu’une série d’agences de conservation, ont remporté de nombreuses victoires :
- African Parks a signé des concessions pour la gestion à long terme de 22 zones protégées dans 12 pays, couvrant plus de 20 millions d’hectares, sécurisant ainsi l’environnement et les opportunités d’écotourisme.
- En Afrique du Sud, Wilderness Foundation Africa et Eden to Addo lancent des initiatives de conservation des corridors pour relier de nombreuses zones protégées qui améliorent ensuite les possibilités d’écotourisme et les avantages pour les communautés locales.
- En Tanzanie, Singita a transformé plus de 150 000 hectares de terrains de chasse en destinations écotouristiques très prisées.
- Wilderness Safaris garantit l’avenir du nord de Kafue en établissant un réseau de camps à faible impact dans une région vouée à sombrer dans un braconnage intensif.
- Le secteur de l’écotourisme a contribué à la survie des gorilles de montagne au Rwanda et en Ouganda et a également participé à la conservation des lycaons, des baleines et des manchots du Cap, entre autres espèces.
- Six Rivers Africa, une ONG tanzanienne fondée par Sir Jim Ratcliffe, met en place un réseau d’écotourisme dans les secteurs sud des parcs nationaux de Ruaha et de Nyerere afin de réhabiliter plus de 11 000 kilomètres carrés d’anciens blocs de chasse intégrés à ces parcs.
- L’initiative Donnons de l’espace d’IFAW assure le maintien de la population et de l’aire de répartition des éléphants dans certaines parties du Zimbabwe, du Malawi et de la Zambie et a permis le retour de l’écotourisme dans des régions autrefois négligées.
- Le secteur de l’écotourisme photographique au sens large a été, dans une certaine mesure, le moteur de la croissance économique et du développement dans le nord du Botswana au cours des trente dernières années.
- Après des décennies de guerre, l’avenir du parc national de Gorongosa, au Mozambique, a été assuré grâce à la philanthropie et au secteur de l’écotourisme.
Dans tous ces cas, la protection de la faune et la restauration de vastes étendues de nature sauvage, y compris des terres agricoles autrefois dégradées, ont joué un rôle central, tout en apportant des bénéfices supplémentaires non négligeables. Le financement nécessaire a été considérablement augmenté et des programmes de recherche scientifique (et autres), essentiels pour orienter les futures initiatives de conservation, ont été mis en place, de même que des programmes de formation des écogardes et des programmes administratifs visant à améliorer les niveaux de pilotage et de gestion. Les perspectives d’emploi et de carrière se sont améliorées dans les communautés rurales, et les retombées économiques plus larges se sont propagées au-delà des zones protégées. Ce sont des aspects particulièrement importants dans les régions qui n’ont que peu ou pas d’autres possibilités de développement. Dans l’ensemble, c’est un excellent bilan.
Les défis
Cependant, le modèle de l’écotourisme est confronté à plusieurs défis majeurs. Tout d’abord, à l’instar d’une grande partie de notre législation environnementale mondiale, le concept d’écotourisme reste un ensemble de principes et de lignes directrices qui, pour la plupart, ne sont pas contraignants ou restent ouverts à une large interprétation. Ainsi, si certaines entreprises et certains pays ont des politiques qui mettent en œuvre les mandats inhérents au concept, nombreux sont ceux qui n’en ont pas, et pour ces entités, le terme ne reste rien d’autre qu’un instrument de marketing bien pratique.
Voici quelques exemples de l’aspect douteux ou peu reluisant de l’écotourisme :
- Malgré des tentatives récentes pour résoudre ses problèmes, la réserve du Masai Mara, au Kenya, accueille trop de véhicules et manque de guides, le tout aggravé par une mauvaise gestion depuis près de 20 ans.
- Les autorités chargées de la gestion du cratère du Ngorongoro et le parc du Serengeti ne cessent de courir après les recettes alors que le nombre de lodges et de véhicules augmente sensiblement chaque année, apparemment sans aucune évaluation écologique à l’appui.
- Les chutes Victoria sont depuis quelque temps un véritable casse-tête, la partie amont du Zambèze résonnant du vacarme incessant des hélicoptères, tandis qu’au coucher du soleil, une flottille de bateaux de croisière de plus en plus bruyante se lance à la poursuite du cadre idéal pour le coucher du soleil.
- Dans certains pays, dont l’Afrique du Sud est le principal exemple, une interprétation erronée de la durabilité a conduit à l’introduction d’activités controversées telles que la chasse close, les câlins aux lionceaux et les promenades avec les lions comme produits touristiques.
- Les organismes de chasse au trophée, souvent assimilés à une forme d’écotourisme, continuent d’appauvrir le patrimoine génétique des lions et des éléphants, ainsi que celui d’autres espèces menacées.
- La taille des lodges et des hôtels continue d’augmenter, avec certains accueillant aujourd’hui plus de 120 personnes, ce qui remet en question la durabilité de leur empreinte. Cela impacte en particulier la consommation d’eau et d’électricité, l’élimination des déchets et d’autres niveaux de pollution, ainsi que la nature des activités proposées.
- On continue d’autoriser la vente d’artisanat et de bibelots fabriqués à partir d’espèces de bois dur menacées, ou de parties d’animaux comme les dents de lion, l’ivoire et les coquillages d’espèces marines.
- L’intégrité culturelle et le tissu social des communautés traditionnelles peuvent être perturbés par les interactions touristiques permanentes quand les drogues, l’alcool et la prostitution font leur apparition.
- Quand les bénéfices économiques de l’écotourisme sont distribués de manière corrompue ou inégale, il peut en résulter une désillusion et même un désengagement des personnes impliquées.
- Le secteur de l’écotourisme a l’habitude de ne soutenir que les destinations les plus prisées. Le modèle est fragilisé quand les agents et les opérateurs continuent à négliger les zones dites marginales ou périphériques.
N’oubliez pas que la plupart des entités impliquées dans les exemples ci-dessus commercialisent leurs produits sous la bannière de l’écotourisme, ce qui implique de se prévaloir de références en matière de conservation. Cette duplicité met en évidence les divergences, les imprécisions et les lacunes des cadres de commercialisation et de réglementation, et tant que cela ne changera pas, il restera difficile de rectifier le tir.
La menace existentielle
Enfin, en ce qui concerne les chiffres, il y a un problème qui doit être résolu. C’est la question la plus épineuse qui soit et qui représente au minimum une image dérangeante, voire une menace existentielle si l’on n’y prend pas garde.
En raison des lacunes déjà mentionnées, il est extrêmement difficile d’obtenir des données précises sur la taille et la croissance de l’écotourisme en tant que secteur. Néanmoins, nous avons une petite idée. Selon le World Travel & Tourism Council (Conseil mondial du tourisme et du voyage ou WTTC), le secteur du voyage et du tourisme en Afrique est passé de 75 milliards de dollars en 2000 à 186 milliards de dollars en 2019, avec 84 millions de voyageurs internationaux (depuis le COVID-19, le secteur se rapproche à nouveau de ces niveaux).
Pour l’avenir, le WTTC prévoit une croissance d’au moins 6,5 % par an au cours de la prochaine décennie et suggère, dans le meilleur des cas, que la contribution combinée du tourisme aux économies continentales pourrait atteindre plus de 300 milliards de dollars, avec la possibilité de doubler le nombre de voyageurs d’ici à 2033. Si l’on ajoute à cela l’affirmation de Conservation Magazine selon laquelle, en Afrique subsaharienne, quatre touristes internationaux sur cinq arrivant en Afrique visiteront une destination liée à la faune, on commence à avoir une idée des chiffres astronomiques.
Pour les responsables politiques, les économistes et les comptables, ces données montrent clairement que l’écotourisme est une poule aux œufs d’or pour l’investissement, la croissance et le profit. En revanche, pour les experts de l’environnement, il y a lieu de s’inquiéter. Combien de personnes et de véhicules supplémentaires les zones protégées d’Afrique peuvent-elles supporter ? Combien de lodges, d’hôtels et d’aéroports supplémentaires, sans parler de l’empreinte des infrastructures, seront nécessaires pour accueillir ces personnes avant que la dégradation écologique ne s’installe ? L’érosion a-t-elle déjà commencé ?
Il est encore extrêmement difficile de mesurer objectivement les bénéfices et les inconvénients de l’écotourisme. Cela permet à chacun de continuer à opérer dans les zones grises de l’amalgame et de la confusion, sans considération ni conséquence. En outre, les concessions et les permis d’exploitation sont laissés à la discrétion des gouvernements, ce qui signifie que les organisateurs de safaris et les chercheurs sont souvent contraints de ne pas dénoncer les mauvaises pratiques ou la mauvaise gestion, de peur d’être expulsés ou de se voir retirer leur permis d’exploitation.
Si on veut que l’écotourisme soit vraiment durable, les organisateurs et les responsables doivent comprendre et accepter que l’environnement, son principal atout, fonctionne dans le cadre de contraintes scientifiques et écologiques. La nature sauvage ne peut pas être traitée comme une ressource infinie ou renouvelable. Le secteur a besoin de toute urgence d’un processus de gestion visionnaire et unifié, qui accepte les limites écologiques tout en équilibrant les exigences de toutes les parties prenantes. Dans le contexte actuel, l’écotourisme dans les destinations les plus populaires ne sera pas durable d’un point de vue écologique ou pratique.
Compte tenu de ces préoccupations, les écotouristes potentiels qui s’intéressent à l’Afrique doivent assumer une responsabilité supplémentaire. Vous devez faire preuve de discernement et de rigueur dans le choix de votre agent et de votre opérateur, et le faire après avoir effectué les recherches nécessaires et réfléchi, notamment en posant des questions précises sur leurs références. Et si pendant le voyage, il y a quelque chose qui vous préoccupe, n’hésitez pas à le dire.
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